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St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

François Maynard 1582–†1642

133. La Belle Vieille

CLORIS, que dans mon cœur j’ai si longtemps servie,

Et que ma passion montre à tout l’univers,

Ne veux-tu pas changer le destin de ma vie,

Et donner de beaux jours à mes derniers hivers?

N’oppose plus ton deuil au bonheur où j’aspire.

Ton visage est-il fait pour demeurer voilé?

Sors de ta nuit funèbre, et permets que j’admire

Les divines clartés des yeux qui m’ont brûlé.

Où s’enfuit ta prudence acquise et naturelle?

Qu’est-ce que ton esprit a fait de sa vigueur?

La folle vanité de paraître fidèle

Aux cendres d’un jaloux m’expose à ta rigueur.

Eusses-tu fait le vœu d’un éternel veuvage

Pour l’honneur du mari que ton lit a perdu,

Et trouvé des Césars dans ton haut parentage:

Ton amour est un bien qui m’est justement dû.

Qu’on a vu revenir de malheurs et de joies,

Qu’on a vu trébucher de peuples et de rois,

Qu’on a pleuré d’Hector, qu’on a brûlé de Troyes,

Depuis que mon courage a fléchi sous tes lois!

Ce n’est pas d’aujourd’hui que je suis ta conquête;

Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris;

Et j’ai fidèlement aimé ta belle tête

Sous des cheveux châtains, et sous des cheveux gris.

C’est de tes jeunes yeux que mon ardeur est née,

C’est de leurs premiers traits que je fus abattu;

Mais, tant que tu brûlas du flambeau d’hyménée,

Mon amour se cacha pour plaire à ta vertu.

Je sais de quel respect il faut que je t’honore,

Et mes ressentiments ne l’ont pas violé;

Si quelquefois j’ai dit le soin qui me dévore,

C’est à des confidents qui n’ont jamais parlé.

Pour adoucir l’aigreur des peines que j’endure,

Je me plains aux rochers, et demande conseil

A ces vieilles forêts, dont l’épaisse verdure

Fait de si belles nuits en dépit du soleil.

L’âme pleine d’amour et de mélancolie,

Et couché sur des fleurs et sous des orangers,

J’ai montré ma blessure aux deux mers d’Italie,

Et fait dire ton nom aux échos étrangers.

Ce fleuve impérieux à qui tout fit hommage,

Et dont Neptune même endura le mépris,

A su qu’en mon esprit j’adorais ton image,

Au lieu de chercher Rome en ses vastes débris.

Cloris, la passion que mon cœur t’a jurée

Ne trouve point d’exemple aux siècles les plus vieux.

Amour et la Nature admirent la durée

Du feu de mes désirs, et du feu de tes yeux.

La beauté qui te suit depuis ton premier âge,

Au déclin de tes jours ne veut pas te laisser;

Et le temps, orgueilleux d’avoir fait ton visage,

En conserve l’éclat, et craint de l’effacer.

Regarde sans frayeur la fin de toutes choses,

Consulte ton miroir avec des yeux contents:

On ne voit point tomber ni tes lis ni tes roses,

Et l’hiver de ta vie est ton second printemps.

Pour moi, je cède aux ans, et ma tête chenue

M’apprend qu’il faut quitter les hommes et le jour;

Mon sang se refroidit; ma force diminue;

Et je serais sans feu, si j’étais sans amour.

C’est dans peu de matins que je croîtrai le nombre

De ceux à qui la Parque a ravi la clarté.

Oh! qu’on oira souvent les plaintes de mon ombre

Accuser tes mépris de m’avoir maltraité!

Que feras-tu, Cloris, pour honorer ma cendre?

Pourras-tu sans regret ouïr parler de moi,

Et le mort que tu plains te pourra-t-il défendre

De blâmer ta rigueur et de louer ma foi?

Si je voyais la fin de l’âge qui te reste,

Ma raison tomberait sous l’excès de mon deuil;

Je pleurerais sans cesse un malheur si funeste,

Et ferais, jour et nuit, l’amour à ton cercueil.