dots-menu
×

Home  »  The Oxford Book of French Verse  »  160. Les Animaux malades de la Peste

St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

Jean de La Fontaine 1621–†1695

160. Les Animaux malades de la Peste

UN mal qui répand la terreur,

Mal que le Ciel, en sa fureur,

Inventa pour punir les crimes de la terre,

La peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom),

Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,

Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés:

On n’en voyait point d’occupés

A chercher le soutien d’une mourante vie:

Nul mets n’excitait leur envie;

Ni loups ni renards n’épiaient

La douce et l’innocente proie;

Les tourterelles se fuyaient:

Plus d’amour; partant, plus de joie.

Le lion tint conseil, et dit: ‘Mes chers amis,

Je crois que le ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune.

Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux:

Peut-être il obtiendra la guérison commune.

L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents

On fait de pareils dévouements.

Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence

L’état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,

J’ai dévoré force moutons.

Que m’avaient-ils fait? Nulle offense;

Même il m’est arrivé quelquefois de manger

Le berger.

Je me dévouerai donc, s’il le faut; mais je pense

Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi;

Car on doit souhaiter, selon toute justice,

Que le plus coupable périsse.

—Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi;

Vos scrupules font voir trop de délicatesse.

Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,

Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur,

En les croquant, beaucoup d’honneur;

Et quant au berger, l’on peut dire

Qu’il était digne de tous maux,

Étant de ces gens-là qui sur les animaux

Se font un chimérique empire.’

Ainsi dit le renard; et flatteurs d’applaudir

On n’osa trop approfondir

Du tigre, ni de l’ours, ni des autres puissances

Les moins pardonnables offenses:

Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins,

Au dire de chacun, étaient de petits saints.

L’âne vint à son tour, et dit: ‘J’ai souvenance

Qu’en un pré de moines passant,

La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et, je pense,

Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue;

Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net.’

A ces mots, on cria haro sur le baudet.

Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue

Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.

Sa peccadille fut jugée un cas pendable,

Manger l’herbe d’autrui! quel crime abominable!

Rien que la mort n’était capable

D’expier son forfait. On le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.