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St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

Jean de La Fontaine 1621–†1695

164. Invocation

O DOUCE Volupté, sans qui, dès notre enfance,

Le vivre et le mourir nous deviendraient égaux;

Aimant universel de tous les animaux,

Que tu sais attirer avecque violence!

Par toi tout meut ici-bas.

C’est pour toi, c’est pour tes appas,

Que nous courons après la peine:

Il n’est soldat, ni capitaine,

Ni ministre d’État, ni prince, ni sujet,

Qui ne t’ait pour unique objet.

Nous autres nourrissons, si, pour fruit de nos veilles,

Un bruit délicieux ne charmait nos oreilles,

Si nous ne nous sentions chatouillés de ce son,

Ferions-nous un mot de chanson?

Ce qu’on appelle gloire en termes magnifiques,

Ce qui servait de prix dans les jeux olympiques,

N’est que toi proprement, divine Volupté,

Et le plaisir des sens n’est-il de rien compté?

Pour quoi sont faits les dons de Flore,

Le Soleil couchant et l’Aurore,

Pomone et ses mets délicats,

Bacchus, l’âme des bons repas,

Les forêts, les eaux, les prairies,

Mères des douces rêveries?

Pour quoi tant de beaux arts, qui tous sont tes enfants?

Mais pour quoi les Chloris aux appas triomphants,

Que pour maintenir ton commerce?

J’entends innocemment: sur son propre désir

Quelque rigueur que l’on exerce,

Encor y prend-on du plaisir.

Volupté, Volupté, qui fus jadis maîtresse

Du plus bel esprit de la Grèce,

Ne me dédaigne pas, viens-t’en loger chez moi;

Tu n’y seras pas sans emploi:

J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique,

La ville et la campagne, enfin tout; il n’est rien

Qui ne me soit souverain bien,

Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique.

Viens donc; et de ce bien, ô douce Volupté,

Veux-tu savoir au vrai la mesure certaine?

Il m’en faut tout au moins un siècle bien compté

Car trente ans, ce n’est pas la peine.