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Home  »  The Oxford Book of French Verse  »  203. A M. de Chateaubriand

St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

Louis de Fontanes 1751–†1821

203. A M. de Chateaubriand

LE Tasse errant de ville en ville,

Un jour, accablé de ses maux,

S’assit près du laurier fertile

Qui sur la tombe de Virgile

Etend toujours ses verts rameaux.

En contemplant l’urne sacrée,

Ses yeux de larmes sont couverts;

Et là, d’une voix éplorée,

Il raconte à l’ombre adorée

Les longs tourments qu’il a soufferts.

Il veut fuir l’ingrate Ausonie,

Des talents il maudit le don,

Quand, touché des pleur du génie,

Devant le chantre d’Herminie

Paraît le chantre de Didon.

‘Eh quoi! dit-il, tu fis Armide,

Et tu peux accuser ton sort!

Souviens-toi que le Méonide,

Notre modèle et notre guide,

Ne devint grand qu’après sa mort

‘L’infortune en sa coupe amère

L’abreuva d’affronts et de pleurs;

Et, quelque jour, un autre Homère

Doit au fond d’une île étrangère

Mourir aveugle et sans honneurs.

‘Ainsi les maîtres de la lyre

Partout exhalent leurs chagrins:

Vivants, la haine les déchire;

Et ces dieux que la terre admire

Ont peu compté de jours sereins.

‘Longtemps la gloire fugitive

Semble troubler leur noble orgueil;

La gloire en vain pour eux arrive,

Et toujours sa palme tardive

Croît plus belle au pied d’un cercueil.

‘Torquato, d’asile en asile

L’envie ose en vain t’assiéger;

Enfant des Muses, sois tranquille:

Ton Renaud vivra comme Achille;

L’arrêt du temps doit te venger.

‘Le bruit confus de la cabale

A tes pieds va bientôt mourir;

Bientôt à moi-même on t’égale,

Et pour ta pourpre triomphale

Le Capitole va s’ouvrir.’

Les derniers mots que l’ombre achève

Du Tasse ont calmé les regrets;

Plein de courage il se relève

Et, tenant sa lyre et son glaive,

Du destin brave tous les traits.

Chateaubriand, le sort du Tasse

Doit t’instruire et te consoler.

Trop heureux qui, suivant ta trace,

Au prix de la même disgrâce,

Dans l’avenir peut t’égaler!

Contre toi du peuple critique

Que peut l’injuste opinion?

Tu retrouvas la muse antique

Sous la poussière poétique

Et de Solyme et d’Ilion.

Du grand peintre de l’Odyssée

Tous les trésors te sont ouverts

Et dans ta prose cadencée

Les soupirs de Cymodocée

Ont la douceur des plus beaux vers.

Aux regrets d’Eudore coupable

Je trouve un charme différent;

Et tu joins dans la même fable

Ce qu’Athène a de plus aimable

Ce que Sion a de plus grand.