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St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

Victor-Marie Hugo 1802–†1885

237. Guitare

GASTIBELZA, l’homme à la carabine,

Chantait ainsi:

‘Quelqu’un a-t-il connu doña Sabine?

Quelqu’un d’ici?

Dansez, chantez, villageois! la nuit gagne

Le mont Falû.

—Le vent qui vient à travers la montagne

Me rendra fou!

‘Quelqu’un de vous a-t-il connu Sabine,

Ma señora?

Sa mère était la vieille maugrabine

D’Antequera,

Qui chaque nuit criait dans la Tour-Magne

Comme un hibou …—

Le vent qui vient à travers la montagne

Me rendra fou.

‘Dansez, chantez! Des biens que l’heure envoie

Il faut user.

Elle était jeune et son œil plein de joie

Faisait penser.—

A ce vieillard qu’un enfant accompagne

Jetez un sou!…—

Le vent qui vient à travers la montagne

Me rendra fou.

‘Vraiment, la reine eût près d’elle été laide

Quand, vers le soir,

Elle passait sur le pont de Tolède

En corset noir.

Un chapelet du temps de Charlemagne

Ornait son cou …—

Le vent qui vient à travers la montagne

Me rendra fou.

‘Le roi disait, en la voyant si belle,

A son neveu:

—Pour un baiser, pour un sourire d’elle,

Pour un cheveu,

Infant don Ruy, je donnerais l’Espagne

Et le Pérou!—

Le vent qui vient à travers la montagne

Me rendra fou.

‘Je ne sais pas si j’aimais cette dame,

Mais je sais bien

Que, pour avoir un regard de son âme,

Moi, pauvre chien,

J’aurais gaîment passé dix ans au bagne

Sous le verrou…—

Le vent qui vient à travers la montagne

Me rendra fou.

‘Un jour d’été que tout était lumière,

Vie et douceur,

Elle s’en vint jouer dans la rivière

Avec sa sœur,

Je vis le pied de sa jeune compagne

Et son genou …

Le vent qui vient à travers la montagne

Me rendra fou.

‘Quand je voyais cette enfant, moi le pâtre

De ce canton,

Je croyais voir la belle Cléopâtre,

Qui, nous dit-on,

Menait César, empereur d’Allemagne,

Par le licou…—

Le vent qui vient à travers la montagne

Me rendra fou.

‘Dansez, chantez, villageois, la nuit tombe.

Sabine, un jour,

A tout vendu, sa beauté de colombe,

Et son amour,

Pour l’anneau d’or du comte de Sardagne,

Pour un bijou…—

Le vent qui vient à travers la montagne

Me rendra fou.

‘Sur ce vieux banc souffrez que je m’appuie,

Car je suis las.

Avec ce comte elle s’est donc enfuie!

Enfuie, hélas!

Par le chemin qui va vers la Cerdagne,

Je ne sais où…—

Le vent qui vient à travers la montagne

Me rendra fou.

‘Je la vovais passer de ma demeure,

Et c’était tout.

Mais à présent je m’ennuie à toute heure,

Plein de dégoût.

Rêveur oisif, l’âme dans la campagne,

La dague au clou…—

Le vent qui vient à travers la montagne

M’a rendu fou!’