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St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

Victor-Marie Hugo 1802–†1885

247. Quand nous habitions tous…

QUAND nous habitions tous ensemble

Sur nos collines d’autrefois,

Où l’eau court, où le buisson tremble

Dans la maison qui touche aux bois,

Elle avait dix ans, et moi trente;

J’étais pour elle l’univers.

Oh! comme l’herbe est odorante

Sous les arbres profonds et verts;

Elle faisait mon sort prospère,

Mon travail léger, mon ciel bleu.

Lorsqu’elle me disait: Mon père,

Tout mon cœur s’écriait: Mon Dieu!

A travers mes songes sans nombre,

J’écoutais son parler joyeux,

Et mon front s’éclairait dans l’ombre

A la lumière de ses yeux.

Elle avait l’air d’une princesse

Quand je la tenais par la main.

Elle cherchait des fleurs sans cesse

Et des pauvres dans le chemin.

Elle donnait comme on dérobe,

En se cachant aux yeux de tous.

Oh! la belle petite robe

Qu’elle avait, vous rappelez-vous?

Le soir, auprès de ma bougie,

Elle jasait à petit bruit,

Tandis qu’à la vitre rougie

Heurtaient les papillons de nuit.

Les anges se miraient en elle.

Que son bonjour était charmant!

Le ciel mettait dans sa prunelle

Ce regard qui jamais ne ment.

Oh! je l’avais, si jeune encore,

Vue apparaître en mon destin!

C’était l’enfant de mon aurore,

Et mon étoile du matin!

Quand la lune claire et sereine

Brillait aux cieux, dans ces beaux mois,

Comme nous allions dans la plaine!

Comme nous courions dans les bois!

Puis, vers la lumière isolée

Étoilant le logis obscur,

Nous revenions par la vallée

En tournant le coin du vieux mur;

Nous revenions, cœurs pleins de flamme,

En parlant des splendeurs du ciel.

Je composais cette jeune âme

Comme l’abeille fait son miel.

Doux ange aux candides pensées,

Elle était gaie en arrivant…—

Toutes ces choses sont passées

Comme l’ombre et comme le vent!