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St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

François Villon 1431–?

30. Les Regrets de la belle Hëaulmiere

ADVIS m’est que j’oy regreter

La belle qui fut hëaulmiere,

Soy jeune fille soushaicter

Et parler en telle maniere:

‘Ha! viellesse felonne et fiere,

Pourquoi m’as si tost abatue

Qui me tient? Qui? que ne me fiere?

Et qu’a ce coup je ne me tue?

‘Tollu m’as la haulte franchise

Que beaulté m’avoit ordonné

Sur clers, marchans et gens d’Eglise:

Car lors, il n’estoit homme né

Qui tout le sien ne m’eust donné,

Quoi qu’il en fust des repentailles,

Mais que luy eusse habandonné

Ce que reffusent truandailles.

‘A maint homme l’ay reffusé,

Que n’estoit à moy grant sagesse,

Pour l’amour d’ung garson rusé,

Auquel j’en faisoie largesse.

A qui que je feisse finesse,

Par m’ame, je l’amoye bien!

Or ne me faisoit que rudesse,

Et ne m’amoit que pour le mien.

‘Si ne me sceut tant detrayner,

Fouler au piez, que ne l’amasse,

Et m’eust il fait les rains trayner,

Si m’eust dit que je le baisasse,

Que tous mes maulx je n’oubliasse.

Le glouton, de mal entechié,

M’embrassoit.… J’en suis bien plus grasse!

Que m’en reste il? Honte et pechié.

‘Or est il mort, passé trente ans,

Et je remains vielle, chenue.

Quant je pense, lasse! au bon temps,

Quelle fus, quelle devenue;

Quant me regarde toute nue,

Et je me voy si tres changée,

Povre, seiche, mesgre, menue,

Je suis presque toute enragée.

‘Qu’est devenu ce front poly,

Ces cheveulx blons, sourcilz voultiz,

Grant entrœil, le regart joly,

Dont prenoie les plus soubtilz;

Ce beau nez droit, grant ne petit;

Ces petites joinctes oreilles,

Menton fourchu, cler vis traictiz,

Et ces belles levres vermeilles?

‘Ces gentes espaulles menues;

Ces bras longs et ces mains traictisses;

Petiz tetins, hanches charnues,

Eslevées, propres, faictisses

A tenir amoureuses lisses;

Ces larges rains, ce sadinet

Assis sur grosses fermes cuisses,

Dedens son petit jardinet?

‘Le front ridé, les cheveux gris,

Les sourcilz cheuz, les yeulz estains,

Qui faisoient regars et ris,

Dont mains marchans furent attains;

Nez courbes, de beaulté loingtains;

Oreilles pendans et moussues;

Le vis pally, mort et destains;

Menton froncé, levres peaussues:

‘C’est d’umaine beaulté l’yssue!

Les bras cours et les mains contraites,

Les espaulles toutes bossues;

Mamelles, quoy! toutes retraites;

Telles les hanches que les tetes.

Du sadinet, fy! Quant des cuisses,

Cuisses ne sont plus, mais cuissetes,

Grivelées comme saulcisses.

‘Ainsi le bon temps regretons

Entre nous, povres vielles sotes,

Assises bas, à crouppetons,

Tout en ung tas comme pelotes,

A petit feu de chenevotes

Tost allumées, tost estaintes;

Et jadis fusmes si mignotes!…

Ainsi emprent à mains et maintes.’