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St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

Joachim Du Bellay 1525–†1560

88. Epitaphe d’un petit Chien

DESSOUS ceste motte verte

De lis et roses couverte

Gist le petit Peloton

De qui le poil foleton

Frisoit d’une toyson blanche

Le doz, le ventre, et la hanche.

Son nez camard, ses gros yeux

Qui n’estoient pas chassieux,

Sa longue oreille velue

D’une soyë crespelue,

Sa queue au petit floquet,

Semblant un petit bouquet,

Sa gembe gresle, et sa patte

Plus mignarde qu’une chatte

Avec ses petits chattons,

Ses quatre petits tetons,

Ses dentelettes d’ivoyre,

Et la barbelette noyre

De son musequin friand:

Bref, tout son maintien riand

Des pieds jusques à la teste,

Digne d’une telle beste,

Meritoient qu’un chien si beau

Eust un plus riche tumbeau.

Son exercice ordinaire

Estoit de japper et braire,

Courir en hault et en bas,

Et faire cent mille esbas,

Tous estranges et farouches,

Et n’avoit guerre qu’aux mousches,

Qui luy faisoient maint torment.

Mais Peloton dextrement

Leur rendoit bien la pareille:

Car se couchant sur l’oreille,

Finement il aguignoit

Quand quelqu’une le poingnoit:

Lors d’une habile soupplesse

Happant la mouche traistresse,

La serroit bien fort dedans,

Faisant accorder ses dens

Au tintin de sa sonnette

Comme un clavier d’espinette.

Peloton ne caressoit

Sinon ceulx qu’il cognoissoit,

Et n’eust pas voulu repaistre

D’autre main que de son maistre,

Qu’il alloit tousjours suyvant:

Quelquefois marchoit devant,

Faisant ne sçay quelle feste

D’un gay branlement de teste.

Peloton tousjours veilloit

Quand son maistre sommeilloit,

Et ne souilloit point sa couche

Du ventre ny de la bouche,

Car sans cesse il gratignoit

Quand ce desir le poingnoit:

Tant fut la petite beste

En toutes choses honneste.

Le plus grand mal, ce dict-on.

Que feist nostre Peloton,

(Si mal appellé doit estre)

C’estoit d’esveiller son maistre,

Jappant quelquefois la nuict,

Quand il sentoit quelque bruit,

Ou bien le voyant escrire,

Sauter, pour le faire rire,

Sur la table, et trepigner,

Follastrer, et gratigner,

Et faire tumber sa plume,

Comme il avoit de coustume.

Mais quoy? nature ne faict

En ce monde rien parfaict:

Et n’y a chose si belle,

Qui n’ait quelque vice en elle.

Peloton ne mangeoit pas

De la chair à son repas:

Ses viandes plus prisées

C’estoient miettes brisées

Que celuy qui le paissoit

De ses doigts amollissoit:

Aussi sa bouche estoit pleine

Tousjours d’une doulce haleine.

Mon-dieu, quel plaisir c’estoit

Quand Peloton se grattoit,

Faisant tinter sa sonnette

Avec sa teste folette!

Quel plaisir, quand Peloton

Cheminoit sur un baston,

Ou coifé d’un petit linge,

Assis comme un petit singe,

Se tenoit mignardelet

D’un maintien damoiselet!

Ou sur les pieds de derriere

Portant la pique guerriere

Marchoit d’un front asseuré,

Avec un pas mesuré:

Ou couché dessus l’eschine,

Avec ne sçay quelle mine

Il contrefaisoit le mort!

Ou quand il couroit si fort,

Il tournoit comme une boule,

Ou un peloton, qui roule!

Bref, le petit Peloton

Sembloit un petit mouton:

Et ne feut onc creature

De si benigne nature.

Las, mais ce doulx passetemps

Ne nous dura pas longtemps:

Car la mort ayant envie

Sur l’ayse de nostre vie,

Envoya devers Pluton

Nostre petit Peloton,

Qui maintenant se pourmeine

Parmi ceste umbreuse plaine,

Dont nul ne revient vers nous.

Que mauldictes soyez-vous,

Filandieres de la vie,

D’avoir ainsi par envie

Envoyé devers Pluton

Nostre petit Peloton:

Peloton qui estoit digne

D’estre au ciel un nouveau signe,

Temperant le Chien cruel

D’un printemps perpetuel.